Galeries mode d’emploi

Une chronique de Basil Sedbuk illustrée par Aline Zalko

Basil Sedbuk, homme affable et blogueur émérite de La Belle illustration rejoint l’équipe de Studio 002. Cet amateur d’images éclectiques a exploré pour nous quelques bonnes galeries parisiennes qui savent faire rimer « illustration » et « bande dessinée ». Compte rendu en images et visite conseillée !

Basil

Historique

Il fut un temps où l’on piétinait les dessins originaux, illustration ou bande dessinée, dans les salles de rédaction. Cela a bien changé. Aujourd’hui certains originaux d’artistes issus du monde de la bande dessinée se vendent pour quelques centaines de milliers voire des millions d’euros. La forte médiatisation des records réalisés par les maisons de ventes aux enchères Artcurial, Christies, Sothebys ou Millon ne doit cependant pas cacher le monde réel des galeries spécialisées en illustrations et en BD.

La première qui a ouvert à Paris fut celle du regretté Christian Desbois, Escale à Paris, au début des années 80. Il expose entre autres Bilal, Tardi, Schuiten, Loustal et offre la possibilité à quelques artistes de réaliser de grands dessins et des toiles, développant ainsi leur univers sous une autre forme, dans de plus grands formats. Il est suivi par Daniel Maghen en 1989 qui ouvre une galerie BD pur jus.

On compte aujourd’hui une quinzaine de lieux à Paris qui proposent des originaux de bande dessinée, d’illustration ou de dessins d’humour.

Aujourd’hui

On compte aujourd’hui une quinzaine de lieux à Paris qui proposent des originaux de bande dessinée, d’illustration ou de dessins d’humour. Parmi les derniers arrivés, les Bruxellois Champaka et Huberty & Breyne, qui ont ouvert des antennes à Paris. L’amateur visitera l’une ou l’autre en fonction de ses affinités car ces cabinets de curiosités de la chose dessinée ont chacun une spécialité, une orientation quasi éditoriale qui couvre un large spectre de genres, de techniques, de formats et de prix.

Il réalisera alors qu’il ne faut pas être millionnaire pour s’offrir des dessins originaux et se constituer une collection au fil de l’eau.

 

Profil des galeristes

Les passionnés qui créent ces galeries viennent de différents horizons. Certains sont des collectionneurs qui partagent ainsi leurs goûts, vendent parfois la collection qu’ils ont constituée, mettent en avant les auteurs qui leur plaisent, partant d’une activité de revente qu’ils assuraient souvent depuis leur appartement. D’autres satisfont leur envie de créer un lieu où présenter de façon élégante et originale le travail graphique d’artistes internationaux peu vus à Paris. La multiplication des galeries a fait évoluer la nature des œuvres exposées.

De plus en plus, on trouvera accrochées aux cimaises non pas des planches mais des dessins, des peintures, souvent plus faciles à mettre au mur de son salon qu’une succession de cases. Dans les enchères, ce ne sont d’ailleurs pas les planches de Bilal qui le font concurrencer la cote de Pierre Soulages, mais bien ses peintures.

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Enki Bilal : White Queen Black King

Les illustrations ne sont pas en reste avec de nombreuses occasions de retrouver les dessins parus dans la presse, en couverture de livres ou dans les albums jeunesse, comme les couvertures du New Yorker à la Galerie Martel, les illustrations de Jean-François Martin chez Barbier & Mathon, les dessins Tati de David Merveille chez Huberty & Breyne. Outre les originaux, on pourra repartir de la galerie aussi avec un tirage aux encres pigmentaires que la Galerie Champaka a été la première à développer intensément, permettant d’agrandir en très grand format des dessins, voire des cases, avec un rendu et des effets de matière extraordinaires.

Désormais le travail des dessinateurs et illustrateurs côtoie de plus en plus celui de l’art contemporain. La Galerie Huberty & Breyne est sans doute celle qui œuvre le plus dans le rapprochement de ces deux mondes qui ne demandent qu’à échanger. Lorsqu’elle organise en 2012 une exposition itinérante, « Quelques instants plus tard », elle présente 80 œuvres inédites réalisées à 4 mains par 80 artistes, 40 venant de la BD et de l’illustration, et 40 de l’art contemporain, Marc Giai Miniet collabore avec Loustal, Gérard Le Cloarec avec Philippe Druillet, Vladimir Velickovic avec Enki Bilal…

Exposition présentée par la galerie Huberty-Breyne à Paris du 14 au 16 novembre et à Bruxelles jusqu’au 4 janvier 2015

Un pari audacieux, très bien accueilli et qui fait réaliser au monde de la BD que l’art contemporain le regarde déjà de très près. Dans ce sens, la Galerie Anne Barrault expose, entre deux expositions d’art moderne, le travail des illustres Topor et Gébé mais aussi les travaux de David B, Jochen Gerner ou Killoffer dans leurs expressions plus conceptuelles.

 

De Bruxelles à Paris

Les deux galeries franco-belges développent une politique de suivi de leurs artistes en quasi-exclusivité entre Paris et Bruxelles et dans les foires. Elles proposent des expositions alternativement d’une capitale à l’autre d’un même artiste à chaque fois sur un nouveau thème. Coïncidant généralement avec la sortie d’un nouveau livre, bande dessinée, recueil de dessins ou album jeunesse, les expositions dans les galeries permettent de découvrir les dernières réalisations d’un artiste. Elles sont parfois agrémentées d’œuvres plus anciennes afin de présenter plusieurs de ses styles. Les vernissages sont ouverts à tous et, bien que de plus en plus bondés, permettent d’échanger avec l’artiste à qui on vient d’acheter une œuvre et l’entendre dire que c’est un très bon choix. Ils deviennent de plus en plus people, le monde du spectacle s’y retrouve fréquemment entre deux petits fours et une coupe de champagne.

On a vu la Galerie Barbier & Mathon exposer pour la première fois en France une cinquantaine d’œuvres du dieu du Manga, Osamu Tezuka, et la Galerie Oblique présenter des planches d’Uderzo pour la sortie de son intégrale.

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Autres lieux

Il n’y a pas que les galeries pur jus qui exposent des originaux. Certains lieux alternatifs dont l’activité d’exposition n’est pas essentielle disposent d’un espace pour accrocher des œuvres et les proposer au public après un vernissage, comme Le Monte en l’air, la Galerie Michel Lagarde… C’est souvent là que les plus jeunes artistes se voient offrir une première chance d’exposer, un tremplin au même titre que les micro-salons et festivals axés sur la découverte. La porte ne leur est cependant pas barrée dans les galeries parisiennes. Martel a réalisé un superbe travail sur les œuvres de Brecht Evens alors que personne ne le connaissait, Champaka exposera fin 2014 les dessins de Yann Kebbi et Idir Davaine rapportés ou inspirés de leur périple aux USA.

 

BARBIER & MATHON

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Studio 002 : Quand avez-vous ouvert votre galerie à Paris et comment vous répartissez-vous les rôles ?

Antoine Mathon / Jean- Baptiste Barbier : La galerie existe sur Internet depuis 2000 (sous l’ancien nom de bdartiste), et dans les murs depuis 2006. Notre première galerie fut une jolie (petite) galerie, rue Condorcet, au pied de Montmartre. Et depuis juin 2012, nous sommes dans un bel espace de 100 mètres carrés, rue Choron. Et cela toujours dans le 9e, qui est notre quartier de cœur ! Concernant notre fonctionnement, il n’y a pas de répartition figée : Antoine et moi faisons tout et sommes interchangeables. Il faut bien entendu remercier Marie qui travaille avec nous et sans qui rien ne serait possible.

Studio 002 : Comment organisez-vous votre programmation en alternant artistes confirmés et découvertes ?

JBB/AM : Notre vision est à minima sur l’année. Nous souhaitons alterner noms reconnus, noms connus, noms en passe de l’être ou que nous espérons accompagner vers cette reconnaissance. Ainsi, sur une même année, peuvent se côtoyer Blutch, Dupuy, Rabaté, Berberian, Zep et Juillard, à côté de jeunes dessinateurs talentueux comme Ruppert et Mulot ou bien encore Guillaume Bianco. C’est pour nous la fonction précise d’une galerie.

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Studio 002 : Quel serait l’artiste (ou y a-t-il un courant) particulièrement emblématique de votre galerie ?

JBB/AM : L’école Pigalle: Avril, Serge Clerc, Gotting, Loustal, Ted Benoit, « la Nouvelle Bande dessinée » (emprunt à Frédéric Niffle), la génération Rabaté, Dupuy, Berberian, Blutch, de Crécy et Blain, la jeune génération Alexis Dormal, Bianco, Ruppert et Mulot, la famille illustrateur Jean-François Martin, Pierre Dubois, et la génération de nos pères que nous admirons tant : Druillet, Nicollet, Liberatore…

Studio 002 : Quelle est votre exposition du moment et que représent-t-elle pour vous ?

JBB/AM : Notre exposition de décembre est consacrée au nouveau Blake et Mortimer d’André Juillard, sur un scénario d’Yves Sente. Nous présentons une trentaine de planches originales et une centaine de travaux de recherche. André est un maître du dessin classique, capable de récits intimistes tels Le Cahier bleu ou Après la pluie, de grandes fresques (avec Cothias) pour Plume aux vents, ou de reprise virtuose de série classique comme Blake et Mortimer. Ce sont ses derniers travaux que nous présentons, non sans fierté.

Galerie Barbier & Mathon
Jean-Baptiste Barbier & Antoine Mathon
10, rue Choron,
75009 Paris

 

CHAMPAKA

Champaka

Studio 002 : Quand avez-vous ouvert votre galerie à Paris et pourquoi une deuxième antenne après Bruxelles ?

Eric Verhoest : Dès la création de la Galerie Champaka Bruxelles (avril 2010), nous savions que nous devrions sans doute nous implanter à Paris. Sans savoir à quel terme. Pour plusieurs raisons : certains artistes nous tenant à cœur désiraient un travail plus cohérent entre les deux centres de la bande dessinée franco-belge, d’autres ont leur « cœur de lectorat » plus fort sur une des deux villes. Même s’il existe une intersection entre les marchés belge et français, les deux pays sont bien plus différents qu’on ne le pense. Et enfin, le dynamisme qui nous habite, mon associé (Thomas Spitaels) et moi.

VernissageChampaka

Studio 002 : Comment organisez-vous votre programmation et y a-t-il une différence d’approche entre les expositions montées pour le public bruxellois et parisien ?

EV : Il existe un noyau commun entre les artistes exposés à Paris et à Bruxelles. Comme nous essayons chaque fois de trouver un angle d’attaque pour nos expositions, il n’y a pas de répétition entre les expos d’un même artiste dans les deux villes. D’autres expositions sont plus spécifiquement « belges » (en fait, je devrais dire Benelux, puisque Amsterdam est plus proche de Bruxelles que Paris), d’autres plus « parisiennes ». Avoir les deux galeries me permet d’explorer mes goûts quelque peu éclectiques. Donc, plus de plaisirs, à chaque fois dans ce que nous pensons être la meilleure localisation pour l’artiste.

Studio 002 : Y a-t-il un artiste ou un courant emblématique de votre galerie ?

EV : En s’appuyant sur le versant « édition » de la marque Champaka, il y a forcément un axe « ligne claire » assez fort. Ceci dit, les éditions Champaka, depuis trente ans, ont beaucoup travaillé avec Franquin, Yslaire, Loustal ou Schuiten, donc… Mon seul critère reste le plaisir, ou désir, provoqué par le dessin ou l’univers de l’artiste exposé.

Galerie Champaka
Eric Verhoest
67, rue Quincampoix,
75003 Paris

 

ANNE BARRAULT

AnneBarrault

Studio 002 : Quand avez-vous ouvert votre galerie et pourquoi ?

Anne Barrault : J’ai ouvert la galerie en 1999. S’il y a « une ligne », elle est vivante donc mouvante. La majorité des artistes avec lesquels je travaille ont réalisé leur première exposition personnelle à la galerie, leur travail ne cesse d’évoluer.

Studio 002 : Y a-t-il un artiste ou un courant emblématique de votre galerie ?

AB : La programmation alterne jeunes artistes et artistes confirmés, et invite des commissaires d’exposition, qui peuvent être critique d’art, écrivain, musicien… Il me semble important de collaborer avec des sensibilités issues d’autres disciplines, qui nous amènent à regarder autrement. Il est impossible de vous citer un nom d’artiste emblématique, sauf si votre but est de me mettre en mauvais terme avec les autres artistes de la galerie ! Mais plus sérieusement chaque artiste est important.

Topor, dessinateur de presse - Roland Topor - Les Cahiers dessin

Studio 002 : Votre exposition du moment ?

AB : J’ai eu la grande chance de rencontrer Nicolas Topor (le fils de Roland Topor), grâce à Pacôme Thiellement qui avait présenté une exposition, intitulée Citadelles en suspens, à la galerie, en 2013. C’est Alexandre Devaux, qui vient de publier un livre sur Topor aux Cahiers dessinés, qui a joué le rôle de commissaire pour l’exposition actuelle. Le travail de Roland Topor est culte, tant pour ses dessins, ses livres, La Planète sauvage, « Télé-chat »… Son esprit est salvateur aujourd’hui dans notre monde policé.

Galerie Anne Barrault
Anne Barrault
51, rue des Archives,
75003 Paris

 

MARTEL

ABarrault

 

Studio002 : Quand avez-vous ouvert votre galerie à Paris et quelle en est la ligne directrice ?

Rina Mattotti : La Galerie Martel a ouvert ses portes en novembre 2008. Depuis sa création, elle s’est fixé un cap : mettre en avant l’expression graphique sous toutes ses formes à travers des artistes de haut niveau dont le point commun est d’explorer de nouveaux territoires et de décloisonner les frontières séparant divers mode d’expression : illustration, peinture, bande dessinée et animation.

Studio002 : Comment organisez-vous votre programmation en alternant artistes confirmés et découvertes ?

RM : La galerie tient à donner la meilleure visibilité aux artistes avec lesquels elle collabore. Nous misons avant tout sur la haute qualité du travail des artistes que nous présentons. C’est ce qui nous tient le plus à cœur et c’est le point commun à toutes nos expositions. Si nous exposons des artistes dont le talent n’est plus à prouver (Spiegelman, Crumb, Mattotti, Chris Ware, etc.), nous tenons à être également un lieu de découvertes. Une galerie doit être un lieu de rencontre, d’échanges et de dialogues. Il est important de rester curieux et de provoquer les rencontres entre les artistes et les publics – car en effet, les publics de la Galerie Martel se renouvellent chaque fois au fil des nouvelles expositions.

Studio002 : Quel serait l’artiste particulièrement emblématique de votre galerie ?

RM : Chaque artiste que nous représentons correspond à notre ligne artistique à sa façon. Quels que soient les techniques ou formats utilisés, chaque artiste joue avec les frontières entre illustration, dessin et bande dessinée, tout en conservant un univers si particulier et c’est cela qui fait la force de leur travail.

Cette grande capacité à représenter, par le dessin sous toutes ses formes, des émotions uniques et fortes est ce qui fait le succès des expositions que nous présentons.

MartelPantere

Studio002 : Quelle est votre exposition du moment et que représente-t-elle pour vous ?

RM : Nous présentons en ce moment un jeune artiste flamand, Brecht Evens. C’est sa deuxième exposition à la Galerie Martel. Nous suivons son travail depuis ses débuts avec son premier livre Les Noceurs qui constituait son travail de fin d’études. Dès lors, nous avons pu percevoir à travers son univers graphique si singulier un talent au potentiel infini. La poésie et les couleurs uniques de ses compositions donnent à son travail une force que nous sommes ravies de présenter à nouveau avec son nouvel ouvrage Panthère publié par son éditeur Thomas Gabison chez Actes Sud BD.

C’est avec beaucoup de créativité que l’artiste use de la saturation et de la transparence de ses encres, de l’explosion de couleurs et du noir et blanc tout en nuances. Il se joue du découpage classique avec des cases et des bulles et nous présente, une fois encore, un travail affranchi de contour, jouissant d’une grande et puissante liberté formelle avec un sens aigu de la composition et du détail.

Galerie Martel
Rina Mattotti
17, rue Martel,
75010 Paris

 

 

AGENDA

Neuf expositions à voir en décembre 2014 :

Yann Kebbi & Idir Davaine à la galerie Champaka

André Juillard à la galerie Barbier & Mathon

GÉBÉ à la galerie Anne Barrault

Brecht Evens à la galerie Martel

Le Winter Show chez Arts Factory

Lionel Koechlin à la galerie Michel Lagarde

Laurent Durieux à la galerie Mondo Graphics

Blexbolex chez Les Libraires associés

La manufacture des pépins, à L’illustre boutique

mailpepins2014

 

Quelques autres lieux parisiens consacrés à l’illustration :

HUBERTY & BREYNE 91, rue Saint-Honoré, 75001

GALERIE OBLIQUE 17, rue Saint-Paul, 75004

SERGEANT PAPER 38, rue Quincampoix, 75004

MICHEL LAGARDE 13, rue Bouchardon, 75010

GALERIE GLÉNAT 22, rue de Picardie, 75003

GlénatCharles1

ARTS FACTORY 27, rue de Charonne, 75011

LE MUSÉE DE POCHE 2, rue Auguste-Barbier, 75011

LE PIED DE BICHE 86, rue de Charonne, 75011

GALERIE 9E ART 4, rue Crétet, 75009

SLOW GALERIE 5, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011

LE MONTE EN L’AIR 2, rue de la Mare, 75020

GALERIE MARTINE GOSSIEAUX 56, rue de l’Université, 75007

Exposition Sempé : "Lecture, écriture" du 4 décembre au 9 avril 2015 à la galerie Martine Gossieaux

Exposition Sempé : « Lecture, écriture » du 4 décembre au 9 avril 2015 à la galerie Martine Gossieaux



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