Icinori – Passeurs d’Image
Mayumi Otero et Raphaël Urwiller, diplômés des Arts décoratifs de Strasbourg, ont fondé les éditions expérimentales Icinori, au sein desquelles ils développent leurs univers, réalisent des livres déraisonnables, et de multiples estampes. Travaillant en duo ou de façon indépendante, nourris d’imagerie populaire et de dessin contemporain, leur travail se retrouve aussi bien dans la presse, qu’en édition et en galerie.
Studio 002 : Vous vivez à Strasbourg, la ville de Gustave Doré, Hansi, ou Tomi Ungerer. Ont-ils influencé votre travail ?
Mayumi Otero: Je suis japano-hispano- parisienne, Strasbourg m’a plus influencée par le réseau que j’y ai construit et la découverte de l’illustration allemanique alors que Raphaël, alsacien d’origine, est très fortement imprégné.
Raphaël Urwiller : Il y a effectivement une culture visuelle locale très particulière. Enfant, je suis allé de très nombreuses fois voir le rétable d’Issenheim de Grünenwald, peinture mythique, ovni médiéval kitsch et violent, dont de nombreux motifs (notamment la gestion de la couleur et de l’espace) se retrouvent dans notre travail. Il y a bien sûr Hansi mais surtout Gustave Doré et Tomi Ungerer dont les livres ont peuplé ma jeunesse – écoliers, nous nous battions pour emprunter ces livres. Il faut aussi citer Frédéric Back, un Alsacien expatrié, auteur de l’extraordinaire Homme qui plantait des arbres. Une filiation culturelle très forte unit tous ces auteurs, très exigeants, portant des obsessions partagées (une même vision du monde comme nef des fous, un rapport fort au végétal et au monstrueux, une ambiance singulière) et ils sont mus par une volonté commune, un travail expansif, envahissant, baroque et boulimique, qui finit par échapper à toute règle.
Pointes sèches, travaux numériques, séri- et risographies, dessins aux crayons, on ne compte plus les supports auxquels vous recourez, en quoi cette diversité est-elle importante ?
R : Pour construire notre pratique, nous sommes revenus aux fondamentaux. Pour nous, l’illustration est plus qu’un art du dessin et de la narration, c’est aussi et surtout un art de la reproduction – donc de l’édition. Une illustration est une image reproduite, et chaque nouvelle méthode d’impression ou d’édition a transformé l’illustration et donc la culture de l’image de son temps. De la riso à la sérigraphie, chaque méthode possède des contraintes fortes, une logique interne particulière, héritage de son histoire et de ses moyens (encres, etc.). La combinaison de techniques est extrêmement féconde en terme d’inventions, allier risographie et pochoir, sérigraphie et pointe sèche, les outils numériques sont un moyen très fécond pour questionner et réinventer ces pratiques parfois presque patrimoniales. Nous travaillons actuellement les étranges tensions entre la pointe sèche et l’image de synthèse. Expérimenter de nouveaux médiums, c’est réinterroger directement notre rapport à l’image et au dessin – et donc au réel.
Dès vos débuts, vous vous êtes intéressés au pop-up, pourquoi ce choix ?
R : Ayant fait des études d’ingénieur, je suis passionné de mécanique et de dessin, le lien s’est fait de façon naturelle.
M : Chaque questionnement amène une expérimentation. Nous sommes passés d’un amour de l’image à celui du dessin, du dessin à l’illustration, de l’illustration à l’impression, de l’impression à l’objet livre et de l’objet livre à sa mise en espace – quoi de plus logique que le pop-up ? Nous pensons en particulier à un pop-up pop oublié des années 80, À la recherche du Plumador très inspiré par Glaser et le Push Pin Studio.
R : Des systèmes simples proches de Kubasta, un dessin coloré et expansif… Une merveille. Ce projet est aussi parti d’une certaine lassitude face à ces très beaux pop-ups de librairie, qui, par leurs contraintes de grands tirages, ne peuvent que fonctionner pour un très grand public bien pensant. Nous avons essayé d’y amener une forme de mauvais genre, de trop-plein d’images, des histoires violentes et colorées.
Follow