Zeloot

Eline Van Dam aka Zeloot a étudié la peinture à l’école d’art de La Haye, en Hollande, avant de tout lâcher pour aller travailler dans une ferme. En découvrant l’univers des comics et de la bande dessinée US, elle se remet à dessiner des affiches, des posters de concerts et des tee-shirts. Ses images où se mêlent illustration nostalgique et graphisme d’avant-garde sont déconcertantes de maîtrise.

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Illustration d’une histoire de Tim Parks pour Vrij Nederland

Studio 002 : Quand t’es-tu lancée en tant qu’artiste ? Penses-tu que le mot « illustrateur » définit bien ton travail ?

Zeloot : Après mes études, j’ai fait beaucoup de choses : voyager, cultiver la terre, cuisiner, mais aussi quelques muraux de centres sociaux en Italie et en Hollande et des flyers pour les concerts que j’organisais. Toujours des images gaies virant au sombre. Puis le Garage, un lieu underground de La Haye, m’a demandé de faire les flyers et les affiches de son programme mensuel de musique électronique, ce qui a donné à mon travail de la visibilité dans la rue et m’a apporté plus de commandes pour la presse et la publicité. J’imagine que c’est là que ma vie d’illustratrice a commencé.

Pendant longtemps, je me suis spécialisée dans les posters musicaux, et je me sentais inconfortable avec l’idée de m’identifier comme illustratrice. Je ressentais cela comme une expression personnelle à travers la musique. Agencer textes et images pour un document de communication se nomme graphisme, mais même si j’étais approchée comme graphiste, ça ne sonnait pas très bien. Le design graphique est déterminé par des règles que je ne connais pas et qui ne m’intéressent pas. Je me suis souvent demandé ce que je suis : une designer, une illustratrice ou une artiste, mais pour moi je n’ai pas besoin de le définir. J’ai toujours été attirée par les formes et les couleurs et j’adore jouer avec, quel que soit le contexte.

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Travail personnel

Ces dernières années, j’ai légèrement changé en m’intéressant plus à l’illustration. J’ai pris conscience que c’est un métier en soi, que faire de bonnes illustrations, ce n’est pas seulement dessiner mais surtout trouver une idée intelligente pour représenter ou clarifier un texte. L’esthétique ou la technique deviennent secondaires.

Studio 002 : Pour quels types de clients travailles-tu et quelle est pour toi la commande idéale ?

Zeloot : La plupart des clients qui m’approchent me laissent énormément de liberté artistique, ils veulent une image « à la Zeloot ». C’est bien car cela me permet d’expérimenter à chaque fois avec le style, les idées, etc., et je parviens à quelque chose qui me ressemble. Bien que de temps en temps, j’espère être appelée plus souvent pour dessiner des fruits pour des marques de confiture, imaginer des logos pour les toilettes ou autre. J’aime aussi être juste un artisan, j’ai confiance dans mon habileté technique (qui a peu à voir avec l’art) et je n’ai ni peur de l’échec ni la pression d’avoir à trouver une « bonne » idée, de satisfaire les attentes. Mes commandes favorites sont celles pour de la musique ou des livres que j’aime. C’est génial de faire se rejoindre image, son et texte.

Mange ta soupe ! aux éditions Michel Lagarde, novembre 2014

Mange ta soupe ! aux éditions Michel Lagarde, novembre 2014

Studio 002 : Tu viens de publier ton premier livre pour enfants, Mange ta soupe ! De quoi parle-t-il ? Envisages-tu de poursuivre une carrière d’auteur ?

Zeloot : L’histoire est légèrement inspirée d’un conte japonais, dans lequel les solutions trouvées par le personnage à ses problèmes deviennent à leur tour des ennuis. Dans mon livre, le personnage (inspiré de mon fils aîné) est sur le point de déguster son dîner quand il est interrompu par divers animaux affamés. C’est une histoire drôle, simple et répétitive pour les enfants de 3 à 7 ans.

A la une, à la deux, à la trois

Extrait de l’album Mange ta soupe !

Je rêvais de faire un album pour la jeunesse depuis longtemps mais je ne m’étais jamais lancée. J’espérais un peu tomber sur la bonne personne qui aurait créé une belle histoire avec moi. Je ne l’ai jamais rencontrée et j’ai approché des gens dont je savais qu’ils avaient une sensibilité avec l’écriture. J’ai passé beaucoup de temps à écrire des mails à différentes personnes, essayant de relier nos idées, jusqu’à réaliser qu’il faut être très chanceux pour trouver un auteur qui partage la même conception des choses, les mêmes goûts et les mêmes idées. Cependant, ces discussions à propos d’albums m’ont aidée à mettre de l’ordre dans mes propres idées, et je suis devenue impatiente et fébrile de commencer. J’ai alors parcouru des histoires libres de droit et trouvé ce conte japonais. Je serais ravie de collaborer avec un auteur mais d’ici là, je vais continuer de mon côté.

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Illustration pour Vrij Nederland & poster pour Volkspaleis

Studio 002 : Tu es hollandaise et vis en Allemagne depuis quatre ans. Quelle est ton expérience professionnelle dans les deux pays ?

Zeloot : J’ai vécu ici quatre ans et n’ai jamais travaillé pour un Allemand, sauf pour mon mari qui a un studio d’enregistrement appelé Slowboy. J’ai été en relation avec beaucoup d’affichistes, illustrateurs de la scène expérimentale, mais depuis que je vis dans un petit village, je ne suis plus au courant de ce qui se passe dans les villes alentour telles Wuppertal et Düsseldorf. Je ne m’intéresse pas assez à la scène musicale locale donc nous ne sommes pas connectés artistiquement. Aux Pays- Bas, les gens portent une attention particulière au graphisme et des choses formidables s’y passent. Mais je suis toujours déçue quand je regarde les magazines, les journaux et les couvertures des livres. Le graphisme hollandais indépendant est aussi contemporain, rebelle et libre que les publications sont conservatrices, protectrices et ennuyeuses. J’imagine qu’il n’y a pas vraiment eu de tradition ces dernières décennies.

Illustrations pour Vrij Nederland

Illustrations pour Vrij Nederland

Depuis que j’ai quitté les Pays- bas, je reçois bien plus de commandes qui viennent des domaines de l’art et du design. La plupart de mes commandes viennent des Etats-Unis, ce qui montre que l’endroit où tu vis n’a plus vraiment d’importance à l’époque numérique. D’ailleurs, je suis vraiment impressionnée du nombre de bons illustrateurs qui viennent de France. Il y a tellement de choses organisées pour et par les illustrateurs. Ça donne envie de voir tous ces festivals, magasins, ateliers et fanzines, car il n’y a rien de comparable en Hollande.

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Illustration pour le Studio Dumba

Studio 002 : Quelle relation lies-tu avec les groupes dont tu fais les posters ?

Zeloot : Dès que j’ai commencé à organiser moi-même des concerts avec Manuel Padding, sous le nom de Helbaard, je me suis impliquée dans la sphère musicale qui porte une réelle importance à l’imagerie des CD, posters, tee-shirts… Le point positif est que cette scène s’est complètement composée et contrôlée d’elle-même, les gens emmenant leurs morceaux sur des cassettes et des CD. Il y avait de la solidarité et de l’enthousiasme entre tout le monde, du partage, de l’échange et de la collaboration. Je faisais partie d’un monde où mon identité d’artiste n’avait pas vraiment d’importance. C’était comme si j’apportais ma petite contribution pour voir cette belle chose naître. J’étais totalement libre dans ma façon de travailler, essayant de visualiser cette musique que j’aime. Les musiciens étaient au cœur de ce support et de cette reconnaissance. Comme je me liais d’amitié et que je travaillais avec plein de musiciens et d’artistes, mon travail commença à voyager en dehors de La Haye.

Illustration pour le Studio Dumba

Illustration pour le Studio Dumba

Alors, les gens ont demandé mes posters d’Helbaard, ont montré mon travail dans des expositions, dans des magazines et des livres sur les posters musicaux… Cette popularité aidant, des groupes réguliers comme The Decemberist en sont venus à m’approcher. Enfin, plutôt leur manager, donc je n’étais pas en lien direct avec eux.

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Affiche pour un concert le 20 septembre 2009 de The Decemberist

 

Studio 002 : Quelles sont tes principales références pour les posters et les livres jeunesse ?

Zeloot : Evidemment, l’art et le design des années 60 et 70 en général m’influencent beaucoup. Je me rappelle très bien mon excitation quand j’ai découvert les posters japonais, polonais et cubains de cette période. Cela dit, je m’empêche de faire des images nostalgiques. Pendant ma période Helbaard, j’ai rencontré et travaillé avec d’autres jeunes affichistes qui m’ont certainement influencée, comme Dennis Tyfus, Jelle Crama, Gregory Pizzoli (qui fait aujourd’hui de chouettes albums pour enfants), Seripop, Ron Liberti, l’ensemble du mouvement Fort Thunder…

 

Pizzoli

The Watermelon Seed, de Greg Pizzoli

 

Pas toujours dans mon style, parfois juste pour donner plus d’amplitude à mon travail ou utiliser certaines techniques d’impression. Avec chaque nouveau projet, j’ai d’autres références qui s’ajoutent, je n’en ai pas de préférées. Elles m’influencent parfois juste pour la forme, le style, le sujet… C’est comme si j’avais cette immense base de données d’intérêts et d’obsessions qui attendent le bon moment pour ressurgir. Concernant les livres pour enfants, je crois que l’influence majeure vient du souvenir de mes lectures d’enfance. La magie créée par des illustrateurs comme Fiep Westendorp, Max Velthuijs, Fulvio Testa et Tomi Ungerer.

Studio 002 : Collabores-tu avec d’autres artistes ou sens-tu une appartenance à un groupe ou à un mouvement ?

Zeloot : Non, plus maintenant. Cela dit, les autres illustrateurs et d’affichistes me manquent. L’été dernier, j’animais un atelier lors du festival d’Albarracin, en Espagne. C’était vraiment bien d’être entourée d’artistes comme moi, nous avions tant à partager. Mais j’ai choisi de vivre dans un village allemand pour mes enfants, et ici il n’y a pas de connexion avec l’art. Mon meilleur ami du village est allé sur mon site un an après m’avoir rencontrée. Je suis maman de deux enfants, et Zeloot est comme mon double nocturne. Mais ça a aussi des bons côtés de vivre au milieu des forêts et des champs, et je pense que c’est un cadre et un moment parfaits pour créer des albums.

 



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